Trois Femmes de Robert Altman

Publié le par happy rain

Trois femmes comme des spectres, souvenir macabre d’un passé heureux fort lointain…s’il n’a jamais existé…


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Autant Robert Altman a connu la célébrité par des films chorales à caractère sociologique tels que Short Cuts et Un Mariage. Autant, il a aussi prouvé qu’il était capable de réaliser des films plus intimes et psychologiques comme par exemple l’envoûtant et onirique Trois Femmes en 1977. Portrait de trois femmes étranges au destin lié, ne serait ce que par leurs prénoms : Pinky, Millie et Willie. 

Nous sommes dans les années 70. Millie, une jeune femme, travaille dans un centre gériatrique. Pinky, adolescente ou tout juste sortie de cet âge ingrat, débarque du Texas et fait la rencontre de Millie dans ce centre où elle vient de trouver son premier emploi. Pinky est tout de suite fascinée par l’apparente perfection de Millie. Elle saute sur l’occasion lorsqu’elle apprend que Millie cherche une nouvelle colocataire. Millie accepte Pinky dans son appartement, tout de jaune vêtu, à l’image de la garde robe de Millie, de sa voiture mais aussi du moindre détail la concernant. Couleur des vacances et du soleil, qui reflète en vérité sa superficialité. La cohabitation va vite tourner au vinaigre entre la non gène de Pinky qui fouine dans la vie de sa colocataire et l’égocentrisme de Millie, qui manque quelque peu de tact à l’égard de Pinky.

La résidence appartient à un drôle de couple : Edgar, un ancien cascadeur, qui passe son temps à faire le coq auprès de la gente féminine, sous l’œil désabusé de Willie, sa femme, silencieuse et enceinte, dont l’activité principale est la peinture de violentes fresques murales. Ses fresques sont la métaphore de la tragédie qui est en train de naître et de se développer dans ce microcosme féminin dominé par le tyrannique et vicieux Edgar. Willie a donc tout l’air d’une Pythie de l’antiquité grecque avec sa longue robe, ses traits tirés et son silence mystique. Edgar et Willie possèdent aussi un bar dans un endroit désertique où le temps semble s’être arrêté à l’époque des cow-boys…Un bar à l’allure de saloon, un tipi, des revolvers avec lesquels des policiers viennent s’entraîner à tirer sur des cibles…Et dans ce décor, les motocross ont remplacé les chevaux pour faire du rodéo. Cela n’est donc qu’un ersatz de Far West où les cow-boys n’ont rien de commun avec le noble John Wayne de La Chevauchée Fantastique de John Ford.

Le rêve est à la surface de ce film: dès le premier plan, l’image est trouble. L’eau est omniprésente : la piscine du centre gériatrique, de la résidence et du bar…l’aquarium dans l’appartement de Millie…Comme dans Orphée de Cocteau, l’eau joue le rôle du passage du monde réel au monde onirique.

Mais le rêve prend très vite l’allure d’un cauchemar…Comment cela pourrait-il se passer autrement puisque sont rassemblées ici, Pinky, la machiavélique; Millie, la bonne poire, superficielle et sans amis et Willie, la voyante ? Leur point commun apparent : une certaine névrose…D’autant plus que Sissy Spacek, l’actrice qui interprète Pinky, est aussi celle qui a incarné Carry dans le film Carry au bal du diable de Brian De Palma, sorti seulement un an avant…Nous avons donc la chair de poule en la voyant de nouveau apparaître à l’écran !

Une musique classique, qui revient inlassablement et l’utilisation fréquente du zoom participent au malaise que l’on ressent. De même, la présence de couleurs dominantes comme par exemple le jaune ou le marron créée une esthétique à la fois kitch et agressive.

L’eau, les miroirs et les vitres, motifs récurrents de Trois Femmes, se font écho, mettant en évidence le dédoublement de personnalité vécu par Pinky : elle veut être à l’image de Millie et finit par se prendre complètement pour elle. Dès le début du film, avant même qu’elles ne soient présentées l’une à l’autre, Pinky scrute Millie comme un rapace sa proie. Une grande partie de l’intérêt de Trois Femmes  réside dans la tension que Altman instaure dans les jeux de regards entre les personnages. C’est à travers le regard de quelqu’un que l’on dit pouvoir lire son âme. C’est la folie, l’absence qui domine les regards dans cette œuvre cinématographique dérangeante. En outre, ces jeux de transparence nous questionnent sur l’identité de ces trois femmes dont on ne connaît pas le passé…

La violence psychologique est crescendo : elle s’extériorise au fur à mesure du film, jusqu’à la mort d’Edgar, qui pourtant, ne peinera personne…Surtout pas ces trois femmes, à la fois diaboliques et fragiles, qui finiront par s’installer ensemble, dans le ranch de Willy à côté du saloon qu’elles décident de reprendre, à l’abri de la civilisation. Trois Femmes est un film loin du divertissement, qui ne ménage pas le spectateur mais qui possède une beauté singulière et l’amène à réfléchir sur les comportements humains.

Publié dans critique de film

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